Mélancolie


 C'est étrange comme une vieille maison ressemble à une autre vieille maison. J'ai le souvenir d'une maison dans la garrigue entourée d'un grand jardin et d'un homme qui prétendait m'aimer comme un père. Qui a mis fin à notre relation violemment après avoir trahi cette promesse de maintes façons. J'ai guéri, longtemps après, j'ai continué ma recherche, inlassablement. Sans y croire. Jusqu'à le trouver. Et nous voilà à une semaine de l'adoption officielle par mon vrai papa. Mon papa pour toujours. 

C'est étrange comme les hautes herbes se ressemblent, en région bordelaise comme dans la garrigue. Le chant des insectes, le café sur la table. Les odeurs de la nature, des vieux murs, se mélangent dans mon esprit comme une goutte de peinture qu'on laisse tomber dans l'eau. Une réminiscence furtive qui se noie dans l'océan des souvenirs. 

Des bons moments, des personnes aimantes qui m'entourent. Des fessées qui fusent parfois pour des motifs plus ou moins justifiés. Des situations de la vie de tous les jours qui se mélangent à des événements qui n'arriveraient jamais dans des familles classiques. Des moments hors du temps qui s'impriment dans mon esprit pour toujours. 

La peur est là, de la similarité des sensations. La peur que tout s'arrête brusquement au moment où je m'y attendrais le moins. Ce qui m'arrive est-il la réalité ? Ai-je trouvé ma famille ? Ou serait-ce un mirage ?

J'aimerais être sûre de moi. Je le serai le jour de mon anniversaire lorsque je signerai les papiers devant le notaire. Pour le moment, je me demande encore si tout va s'arrêter. Mon inconscient me tourmente, me rappelle sans cesse que j'ai déjà vécu de telles pauses dans ma vie quotidienne, avec l'impression que ma vie réelle, c'était ça, et que le travail et mon appartement faisant office d'éternelle auberge espagnole n'étaient qu'un ersatz de vie, un fournisseur d'argent de poche. 

Mais malgré cette inquiétude, je savoure chaque instant passé en la compagnie de mes hôtes. Il y a Rose, la douceur incarnée. Il y a Catherine, qui nous fait toujours rire malgré sa santé fluctuante. Et il y a papa. Papa qui vit tout comme moi les plus beaux moments de sa vie. 

J'aimerais que le rendez-vous chez le notaire soit bien plus rapide, afin que je puisse profiter de la suite de mon séjour en m'appropriant les sensations du lieu et de la vie de famille. J'aimerais en même temps que rien ne s'arrête, que le temps lui-même fasse une pause pour nous permettre de savourer ces moments. Je traîne ces souvenirs comme un boulet que je m'apprête à détacher de mon pied. On est enfin proches de la guérison, je le sens. 

Bientôt le chant des insectes et l'odeur du café, la fumée de cigarette et la vapeur du linge fraîchement lavé m'évoqueront le bonheur durement acquis de la vie de famille que j'ai désormais. 

Je rêve du moment où nous déménagerons tous ensemble dans notre future grande maison. Projet qui nous tient à cœur, et qui s'approche de sa réalisation. Encore quelques mois à tenir, le temps de vendre chacun de notre côté et de nous installer dans un petit village côtier. Je nous imagine au milieu des vignes, dans une maison à un étage, entourée de verdures. 

Le chant des oiseaux se mêlera à celui du lave-linge qui finit de tourner. Les rires fuseront et les embrassades apaiseront la dureté de nos journées. Papa me bordera le soir comme il a pris l'habitude de le faire. Il me rappellera de poser mon téléphone pour aller dormir. Nous nous retrouverons autour d'un café au lait et nous parlerons de notre état d'encéphalo rectal car nous ne sommes pas du matin. 

Puis j'irai travailler. Et on m'appellera par son nom qui sera le mien. 




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